On hésite… Est-ce la Sibérie, au loin ? Les monts Stanovoï, où les cavaliers des steppes, hier, chevauchaient vers l’Est ? Ou est-ce plutôt la forêt amazonienne, le souvenir des indiens Achuar, perdus dans la moiteur de la canopée ? Ici ou là, peu importe en fait. Du moment qu’il y ait des flèches, du moment qu’il y ait des plumes… L’art de Katharina Leutert, souvent, s’écrit ailleurs. Dans les efflorescences sauvages de la bruyère blanche, dans les traces de cervidés, au cœur des météores… C’est dans ce paysage mental, dans cette clairière métaphysique éclairée à la lampe-tempête, que l’artiste nous convie aujourd’hui. Une invitation à découvrir un monde oublié, tout à la fois baroque et chamanique, où campent à la nuit tombée de drôles d’esprits frappeurs. Un univers étrange, donc, où les sculptures ressemblent à des bronzes du Luristan et où les peintures imitent – à s’y méprendre – les plumes des guerriers jivaros. Combien de chemins empruntés, combien de granges brûlées, pour se frayer un passage entre ces deux rives ? Arpenteur de l’éphémère, Katharina Leutert traverse ici tous les territoires de l’imaginaire. Chez les « chasseurs de rêves », on appelle ça braconner.
Gilles-François Picard – La Gazette Drouot, mai 2012